Si les pays occidentaux ont mené de nombreuses guerres au cours des dernières décennies, ils en ont gagné peu. Mais ces défaites, ou ces non-victoires, n’ont pas eu de conséquences négatives sur la conduite des pays. C’est que les guerres menées par l’Occident n’étaient pas des guerres essentielles.
Les guerres au Vietnam, en Irak, en Libye, en Yougoslavie sont des guerres asymétriques, mais pas au sens où ce terme est employé habituellement. L’asymétrie ne repose pas sur le type d’arme employée, mais sur la nature de la guerre qui est conduite.
Pour l’Occident, ces guerres sont secondaires : elles ne mettent pas en jeu les conditions de sa survie. Pour les pays concernés, ces guerres sont essentielles : l’existence du pays est suspendue au débouché de la guerre. Que l’Iran perde la guerre contre l’Irak (1980-1988) et c’est la survie du régime qui est menacée. Que le Vietminh perde contre les États-Unis et il disparait de l’histoire. Étant des guerres existentielles, les pays n’ont d’autre solution que de les mener complètement en se donnant totalement dans l’engagement militaire. Ce qui implique de faire des sacrifices majeurs, notamment en termes d’engagement de la population et de la jeunesse. Dans ces guerres existentielles, il y a peu de voix discordantes : toutes sont tournées vers la guerre. Pour qu’une guerre soit existentielle, il faut qu’elle se déroule sur le territoire du pays concerné et qu’elle mette en danger la survie de celui-ci.
Pour les États-Unis, le Vietnam n’est pas une guerre de ce type. Certains Américains sont favorables à la guerre, d’autres résolument opposés. La défaite finale n’a pas réduit la puissance américaine. Il en va de même pour la France en Indochine et en Algérie : la perte de ces deux territoires n’a pas réduit la puissance française. Les partisans de la décolonisation sont même convaincus que la perte de ces territoires a retiré un boulet à la France, lui permettant ainsi de se déployer dans d’autres secteurs, beaucoup plus stratégiques. D’un côté, l’Occident perd des guerres parce que celles-ci lui semblent inutiles, de l’autre la perte de la guerre n’est pas nécessairement une défaite quand elle permet au pays de se consacrer à d’autres sujets beaucoup plus importants. Il serait donc plus exact de dire que l’Occident perd des batailles, mais qu’il ne perd pas la guerre.
La guerre et le politique
La guerre étant un moyen, elle est au service d’une fin qui la dépasse et qui est plus important qu’elle. Une guerre est perdue quand elle ne permet pas d’aboutir à la finalité politique qui a été fixée. Mais ici, c’est bien la politique qui est première, la guerre étant un moyen d’atteindre l’objectif politique, qui peut d’ailleurs être atteint par d’autres moyens.
Pour accéder aux champs de pétrole, on peut déclarer la guerre à l’Irak et prendre le contrôle du pays. On peut aussi s’appuyer sur une entreprise pétrolière qui signe un traité d’exploitation et qui verse des royalties à l’Irak. Dans le premier cas, nous sommes dans une guerre de rapine, qui aboutit généralement à l’épuisement du pays razzié et à la stagnation du pays razzieur. Dans le second cas, il y a coopération et échanges. Il faut payer certes, mais cette somme dépensée est moins importante que ce que coûte une guerre. Pour beaucoup de pays, la puissance a longtemps passé par la domination territoriale, donc par la guerre. Puis on s’est rendu compte que la puissance pouvait reposer sur d’autres leviers : non pas la domination territoriale, mais les traités commerciaux, non pas la guerre, mais l’échange. Plus tôt les pays l’ont compris et plus tôt ils se sont développés.
Quand l’URSS a été chassée d’Afghanistan (1988), cela a engendré un processus de dissolution qui a contribué à la disparition de l’Union (1991). L’URSS ne pouvait pas se permettre de perdre comme aujourd’hui la Russie de Vladimir Poutine ne peut pas perdre en Ukraine.
Quand les États-Unis ont été chassés d’Afghanistan (2021) ils ont été humiliés : après dix ans de présence et des milliards de dollars dépensés, ils ont été vaincus par des bergers en kalachnikovs. Mais cette défaite n’a entraîné aucune conséquence sur leur puissance et leur attrait. Ils ont perdu une bataille, mais ils n’ont pas perdu la guerre et leur domination s’est exercée différemment.
Il en va de même de la présence française en Afrique. Les opérations ponctuelles conduites par l’armée ont été des succès : l’armée française a pu neutraliser les chefs djihadistes recherchés. Mais cela n’a pas réglé le problème de la violence et de l’insécurité, endémique dans ces régions. Or en Afrique la France n’a jamais eu de projet politique clair. « Lutter contre le terrorisme » n’est pas une politique. Faire du « nation building » relève davantage du rêve que de la politique. Mais si la France est aujourd’hui chassée d’Afrique, cela n’a que peu de conséquences sur sa puissance et son rayonnement, qui reposent sur d’autres piliers et d’autres leviers.
Pour les Occidents, la guerre d’aujourd’hui n’est plus le seul chemin vers la puissance et leur suprématie.
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