Ave Maria - G.Caccini

Troie subsiste par notre faiblesse, et non par sa force

 


Oh ! quand la hiérarchie est ébranlée, elle qui sert d’échelle à tous les hauts desseins, on voit défaillir l’entreprise humaine. Comment les communautés, les degrés dans les écoles, les fraternités dans les cités, le trafic paisible des rivages séparés, les droits de l’aînesse, et de la naissance, les prérogatives de l’âge, les couronnes, les sceptres, les lauriers conserveraient-ils leurs titres authentiques sans la hiérarchie ?Supprimez la hiérarchie, faussez seulement cette corde, et écoutez quelle dissonance ! Tous les êtres se choquent dans une lutte ouverte. Les eaux naguère contenues, gonflent leurs seins au-dessus des rives, et inondent tout ce globe solide. La violence asservit la faiblesse, et le fils brutal frappe son père à mort. La force devient la justice : ou plutôt le juste et l’injuste, ces éternels adversaires entre lesquels siège l’équité, perdent leurs noms, comme l’équité, le sien (Shakespeare, Troilus et Cressida, I, 3).  


Alors tout se retranche dans la puissance ; la puissance, dans la volonté ; la volonté, dans l’appétit ; et l’appétit, ce loup universel, ainsi doublement secondé par la volonté et par la puissance, fait nécessairement sa proie de l’univers et finit par se dévorer lui-même. Grand Agamemnon, voilà, quand la hiérarchie est suffoquée, le chaos qui suit son étouffement. Cette négligence des degrés — produit une déchéance là même où elle essaie une escalade. Le général est méprisé — par celui qui prend rang après lui ; celui-ci, par le suivant ; le suivant, par celui d’au-dessous. C’est ainsi que tous les grades, prenant exemple sur le premier qu’a mis en dégoût son supérieur, gagnent à l’envi la fièvre d’une pâle et livide jalousie. C’est cette fièvre-là qui maintient Troie debout, et non sa propre énergie. Pour finir ce long discours, Troie subsiste par notre faiblesse, et non par sa force. 
 

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