SEPTIEME DEGRE De la tristesse qui produit la Joie. |
41. Celui donc qui passe sa vie à répandre des larmes constamment agréables à Dieu, célèbre tous les jours de nouvelles fêtes spirituelles; tandis que celui qui coule ses jours dans les plaisirs et dans les joies profanes, pleurera dans les siècles infinis de l'éternité.
42. Eh quoi ! Les criminels peuvent-ils goûter quelque plaisir dans la prison ? Comment donc les véritables moines en auraient-ils sur la terre ? Et n'est-ce pas dans ce sentiment que parlait ce grand pénitent, si célèbre par la sincérité et la pureté de ses larmes, lorsqu'il disait : "Tirez, Seigneur, mon âme de ce lieu, où je suis enfermé" (Ps 141), afin que je tressaille d'allégresse dans le sein de votre lumière incompréhensible.43. Soyez au milieu de votre coeur comme un général au milieu de son armée; ordonnez-lui avec une autorité absolue toutes les pratiques de la plus profonde humilité. Ainsi que, quand vous commanderez à la joie de se retirer de vous, en lui adressant ces paroles : va-t'en, elle s'en aille; et que quand vous direz aux larmes : venez, elles arrivent; et à votre corps, qui est votre esclave : fais cela, il le fasse (cf. Mt 8,9).
44. Quiconque s'est revêtu du don des larmes comme d'une robe nuptiale, sentira quelle est la douceur inexprimable, de la joie spirituelle.
45. Quel est le moine qui ait si saintement vécu, pour pouvoir dire que, depuis qu'il est entré en religion, il n'a pas perdu un seul jour, une seule heure, ni un seul moment; mais qu'il a consacré au service de Dieu sa vie tout entière, dans la pensée qu'un jour passé ne revient plus ?
46. Ce moine est vraiment heureux, lequel, par la vivacité de sa foi, peut contempler la beauté des anges, et jouir ainsi de la société de ces Intelligences célestes; mais il est bien autrement heureux celui qui, par la méditation de la mort, par le souvenir amer de ses péchés, et par les larmes abondantes de sa fervente pénitence, s'est mis dans l'état heureux de ne plus retomber dans le péché. Or on pourrait difficilement, je crois, me persuader que, pour arriver à la perfection du premier état, il ne faille pas auparavant avoir passé par le second état dont nous venons de parler.
47. J'ai vu des pauvres dont la hardiesse a été au point de s'adresser directement à des rois, et qui les ont pressés avec des paroles si ingénieuses et des manières si engageantes, qu'ils les ont attendris sur leur misérable position et les ont portés à prendre pitié de leur misère. Mais j'ai vu aussi des pauvres d'une autre espèce, lesquels, manquant absolument de vertu, se sont adressés au Roi du ciel. Ils réclamaient son secours et ses faveurs avec une persévérance et, une assiduité qu'on pourrait appeler importunes : ils n'employaient pas pour cela des expressions choisies et étudiées, mais se contentaient de lui exposer leurs nécessités pressantes avec une modestie parfaite, une humilité profonde et une crainte respectueuse; ils ne cessaient de Lui exprimer les sentiments de leur indignité, et de lui répéter avec l'accent d'une douleur profonde et d'une conviction entière, qu'ils ne méritaient pas d'être écoutés ni d'être exaucés; et cependant cette violence qu'ils lui ont faite, en agissant ainsi, L'a en quelque sorte forcé d'avoir compassion d'eux, et de leur accorder ce qu'ils lui demandaient.
48. Celui qui sent de la vanité, parce qu'il a reçu le don des larmes, et qui condamne les autres, parce qu'ils en sont encore privés, ressemble parfaitement à un sujet qui demanderait des armes à son souverain, et qui, les ayant obtenues, au lieu de s'en servir contre les ennemis de son prince, s'en servirait pour se percer et se donner la mort.
49. N'oublions pas ici que Dieu n'a pas besoin de nos larmes, et qu'Il n'aime pas à voir que les inquiétudes et la tristesse dévorent et consument nos coeurs; mais qu'Il désire qu'embrasés du feu sacré de son Amour, nous goûtions et savourions les délices d'une joie toute pure et toute spirituelle.
50. Ôtez, le péché de votre coeur, et vous n'aurez plus de motifs de répandre des larmes. Pour quelle raison mettrait-on un emplâtre sur un des membres d'une personne qui n'a reçu aucune blessure ? Adam versa-t-il des pleurs avant sa fatale désobéissance ? Les justes en répandront-ils après la résurrection et l'abolition entière du péché ? N'est-il pas écrit qu'alors "il n'y aura ni pleurs, ni gémissements, ni douleur, ni affliction" (Apoc 21,4).
51. J'ai vu des personnes qui paraissaient être sans tristesse, quoique réellement elles fussent très affligées; mais à l'extérieur vous les auriez prises pour des gens dans la joie, et non dans l'affliction. Or l'Amour de Jésus Christ les a mises à l'abri de tout danger; les démons ne leur peuvent rien, car on peut leur appliquer ces paroles : "Le Seigneur éclaire les ténèbres des aveugles." (Ps 145,8)
52. Souvent aussi il arrive que les larmes donnent de la vanité à ceux qui n'ont qu'une vertu faible et chancelante. Aussi par un trait admirable de sa Providence, Dieu les prive de ce don qui leur devient funeste, afin qu'en le désirant et en le demandant, ils s'affligent et se condamnent eux-mêmes, qu'ils vivent dans les soupirs et les gémissements, dans la douleur et la tristesse, dans de dures inquiétudes et dans une déchirante anxiété; car, dans les desseins de Dieu, toutes ces peines qu'ils endurent, leur tiennent lieu du don des larmes, et, quoiqu'il leur semble n'en retirer aucun fruit, elles leur sont infiniment avantageuses.
53. En observant attentivement les divers artifices du démon, nous verrons que très souvent il nous fait tomber dans une illusion bien funeste et bien propre à nous faire de la peine, et qu'il nous joue d'une manière bien fâcheuse. En effet est-il rare que, lorsque nous nous rassasions bien, et que nous contentons notre sensualité, il nous attendrisse lui-même, et nous fasse répandre des larmes en abondance; et que, lorsque nous avons fidèlement observé le jeûne et les règles de la tempérance, il nous endurcisse et fasse tarir la source de nos pleurs ? Or qui pourrait ne pas voir que, par les fausses larmes qu'il arrache à nos yeux, il veut que nous nous abandonnions à l'intempérance et à la sensualité, deux sources fécondes de vices ? Mais, au lieu de nous laisser prendre à ses pièges, ayons soin de faire le contraire de ce qu'il nous suggère.
54. Quant à moi, je vous avoue qu'en considérant la nature de la componction du coeur, je suis frappé d'étonnement, et je ne peux me lasser d'admirer comment il peut se faire que la douleur et l'affliction de la pénitence renferment dans elles-mêmes la joie et l'allégresse, à peu près comme l'hexagone des abeilles renferme le miel. Mais que nous apprend cette merveille ? Que la tristesse et les larmes d'une âme contrite et pénitente sont vraiment et réellement un don de Dieu; car ce qui fait que cette âme repentante éprouve ce plaisir et cette joie intérieure, si douce et si consolante, c'est que Dieu Lui-même, d'une manière secrète et invisible, communique aux coeurs affligés et brisés par la douleur de leurs fautes, les douceurs et les consolations d'une joie toute céleste.
55. Mais rien, je crois, ne peut contribuer davantage à nous convaincre combien nous avons besoin de pleurer nos péchés, et combien les larmes d'une douleur sincère sont utiles à notre âme, que l'histoire vraiment extraordinaire et surprenante que je vais vous raconter : Il y avait dans le monastère où j'étais, un moine nommé Étienne; comme il aimait la vie solitaire et érémitique, depuis un grand nombre d'années il vivait entièrement séparé des frères, et s'était rendu recommandable par ses jeûnes rigoureux, par ses larmes abondantes et par d'autres vertus excellentes. Il avait fixé sa cellule au pied de la sainte montagne où Élie avait vu autrefois la présence de Dieu. Mais cet homme vraiment respectable, désirant pratiquer des exercices d'une pénitence plus austère et plus laborieuse, se retira au désert des Anachorètes, appelé Siden, et y vécut plusieurs années dans la plus sévère et la plus étroite discipline. Ce lieu, privé absolument de toute consolation humaine, était d'un abord presque inaccessible, et était éloigné de soixante-dix milles de toute habitation. Enfin ce saint vieillard, sur la fin de sa vie, revint trouver sa première cellule dans la montagne d'Élie, où il avait eu pour disciples deux moines de la Palestine, lesquels étaient fort pieux et sévères observateurs de la discipline religieuse. Ils étaient demeurés dans cette cellule pendant l'absence du saint vieillard, lequel, quelques jours après qu'il y fut revenu, tomba dangereusement malade, et cette maladie le conduisit au tombeau. La veille de sa mort il fut tout à-coup ravi hors de lui-même; et dans ce ravissement il regardait, tantôt à sa droite, tantôt à sa gauche; et comme si des personnes lui eussent fait rendre compte de sa vie, il leur répondait si haut, que tous ceux qui étaient présents pouvaient le comprendre. "Oui, disait il quelquefois, c'est vrai; j'ai commis cette faute, mais j'ai jeûné tant d'années pour l'expier"; et d'autres fois, "Non, je n'ai pas fait ce péché; vous m'accusez à tort." Puis il ajoutait : "Je confesse que je me suis rendu coupable de cette faiblesse; mais j'ai pleuré, j'en ai fait pénitence et j'ai tâché de la racheter par de saints exercices et par des oeuvres de charité. Mais c'est absolument à faux que vous m'accusez cette fois" reprenait-il avec vivacité. Sur d'autres chefs, il disait : Vous avez raison; j'avoue que je suis coupable et que je n'ai rien à répondre pour me justifier; que je n'ai pour ressource que les Miséricordes de Dieu, en qui je mets toute ma confiance." Or cet examen extraordinaire et si sévère était un spectacle effrayant et terrible, et autant plus terrible, que ce pauvre moine était accusé des fautes mêmes qu'il n'avait pas commises. Ah ! Juste ciel ! si un solitaire fervent, un anachorète qui, pendant quarante années passées dans la vie érémitique, avait pleuré amèrement ses péchés, et les avait expiés par toute sorte d'austérités, avoue cependant que, sur certaines fautes il n'a rien à répondre pour s'excuser, que pourrai-je donc devenir, moi ? Ne dois-je pas m'écrier : Malheur à moi ! Oui, malheur à moi, misérable, puisque ce grand solitaire n'a pas même pu fermer la bouche aux démons qui l'accusaient, par ces paroles d'Ézéchiel : "Le Seigneur a dit : Je vous jugerai selon vos voies" (Ez 33,13) ? Mais gloire soit rendue à Dieu, qui seul connaît les choses cachées ! Cependant je peux vous assurer que plusieurs personnes m'ont dit que tandis qu'il était au désert, ce bon solitaire donnait de sa propre main à manger à un léopard. Or ce fut pendant qu'il subissait cet examen rigoureux, et qu'on lui faisait rendre compte de sa vie, qu'il rendit son âme à Dieu, sans que nous ayons pu savoir quelle a été la fin de ce jugement, et quelle a été la sentence qu'il a reçue.
56. De même qu'une pauvre veuve, après la mort de son mari, ne trouve de consolation que dans un fils unique qui lui reste; ainsi une âme qui est tombée dans le péché, ne peut trouver quelque soulagement au moment qu'il faut quitter la vie, que dans les travaux pénibles qu'elle a supportés, dans les jeûnes rigoureux qu'elle a pratiqués, dans les larmes qu'elle a versées, et dans la pénitence qu'elle a faite.
57. Ces sortes de pénitents ne se permettent même pas de chanter en leur particulier des hymnes et des cantiques, parce que ces cantiques seraient capables d'étouffer leurs soupirs et de diminuer leurs larmes. Si donc vous prétendez que par le chant des hymnes, vous exciterez en vous les sentiments de la pénitence, sachez que vous êtes bien loin d'elle, et qu'elle est bien loin de vous. La pénitence est une douleur de l'âme laquelle demeure dans elle depuis longtemps, et lui est conservée par le moyen du feu de lamour.
58. Or cette pénitence précède, dans une âme, la paix et la tranquillité du coeur : c'est elle qui, en la purifiant, et en lui procurant la victoire sur les passions et sur les mauvaises habitudes, la revêt de son premier ornement.
59. Voici ce que m'a raconté de lui-même un homme illustre par une longue et rigoureuse pénitence : "Lorsque, me dit-il, j'étais tenté de me livrer à la vaine gloire, à l'impatience, à l'intempérance, le souvenir de ma pénitence s'y opposait fortement, et me faisait entendre au dedans de moi ces paroles sévères : Prends bien garde de te laisser aller à la vaine gloire, autrement je t'abandonnerai; et il en faisait autant par rapport aux autres tentations que j'éprouvais. Or j'avais coutume de lui répondre : Je ne vous désobéirai jamais, jusqu'à ce que vous puissiez me présenter avec assurance devant le tribunal de Jésus Christ."
60. Mais, si une âme profondément pénitente et sincèrement affligée de ses péchés reçoit de Dieu des consolations ineffables, une âme pure et sainte reçoit de Lui des lumières extraordinaires. Or cette illumination divine est une impression douce et forte, qu'on ne peut ni exprimer, ni comprendre, ni voir : c'est la foi seule qui la fait comprendre, voir et sentir. Quant aux consolations d'une âme pénitente, c'est un certain rafraîchissement doux et agréable qui rend en quelque sorte cette âme semblable à un enfant qui pleure et rie presqu'en même temps. Ce rafraîchissement, par un effet admirable, renouvelle cette âme affligée, et fait que ses larmes, d'amères qu'elles étaient, deviennent douces et agréables.
61. Les larmes que produit la pensée de la mort, font naître la crainte de Dieu dans les coeurs; cette crainte de Dieu engendre la confiance, et cette ferme confiance en Dieu donne une joie parfaite, laquelle produit enfin la fleur divine de l'amour.
62. Repoussez loin de vous par un esprit d'une véritable humilité, toute joie étrangère, comme étant indigne de vous; et ne cessez de craindre que, par les tromperies du démon, vous ne receviez un loup dévorant, au lieu d'un pasteur de votre âme.
63. Prenez garde de vouloir, avant le temps, vous élever à une sublime contemplation; mais faites en sorte que, par la perfection de votre humilité, ce soit elle qui vous cherche et vous saisisse pour s'unir à votre âme par une union pure et indissoluble.
64. Voyez combien une âme religieuse a de ressemblance avec un petit enfant : à peine connaît-il son père, qu'on le voit rempli d'une joie qu'il ne peut exprimer; et, si pour de bonnes raisons son père s'absente, quand il revient, l'enfant témoigne à la fois son contentement et sa peine : son contentement, parce qu'il reçoit son père après une absence qui lui a bien duré; sa peine, parce qu'il a été privé si longtemps de sa présence.
65. Cette âme ressemble encore à un autre enfant. Voyez-vous cette mère qui se cache avec adresse et se dérobe à la vue de son fils ? Mais entend-elle ses cris plaintifs, et voit-elle couler ses larmes ? Alors, elle éprouve un plaisir délicieux. Elle lui apprend par là et lui fait sentir l'importance et la nécessité de ne pas s'éloigner de sa présence; et c'est ainsi qu'elle nourrit et qu'elle augmente dans son enfant l'affection qu'il a pour elle. Or, dit le Seigneur : "Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ces paraboles." (Luc 14,35).
66. Pense-t-il aux exercices du Gymnase et aux pièces qu'on doit jouer sur le théâtre, le criminel qu'on a condamné à la peine capitale ? Or, celui qui pleure des péchés qui lui ont mérité des tourments éternels, pourrait-il se livrer au plaisir, à la vaine gloire, à la colère et à la mauvaise humeur ?
67. La pénitence, qui est une vive et profonde douleur de l'âme, ne doit-elle pas lui fournir tous les jours de nouveaux sujets de s'affliger et de souffrir ? Et l'âme pénitente ne ressemble-t-elle pas à une femme qui est dans les douleurs de l'enfantement ?
68. Le Seigneur, dont la justice égale la sainteté, récompense, par le sentiment d'une componction pleine de foi, le moine qui, dans la solitude, vit selon la foi et les règles de la sainteté, comme il récompense, par d'ineffables consolations, le moine qui, pour des motifs louables, demeure dans un monastère pour y vivre saintement sous l'autorité et l'obéissance d'un supérieur. Mais celui qui, sincèrement et selon Dieu, n'embrasse pas l'un ou l'autre de ces deux genres de vie, se prive misérablement du don des larmes.
69. Éloignez et chassez loin de vous le démon du désespoir, c'est un chien enragé, qui, lorsque vous considérez avec douleur les péchés que vous avez commis, fait tous ses efforts pour vous représenter Dieu sans clémence, sans bonté et sans miséricorde; et, si vous y faites attention, vous verrez qu'avant de vous faire tomber dans les fautes que vous pleurez, ce misérable vous peignait vivement la bonté, la clémence et la miséricorde de Dieu, mais surtout son admirable facilité à recevoir les pécheurs et à leur pardonner.
70. Le saint exercice de la pénitence en produit l'heureuse habitude dans notre âme, et cette habitude nous la rend facile et agréable. Voilà pourquoi elle pousse dans nos coeurs des racines si fortes et si profondes, qu'elle ne peut pas facilement ensuite nous être enlevée.
71. Au reste ce serait en vain que nous nous livrerions aux plus excellents exercices de piété : si nous n'avons pas la douleur intérieure et sincère de nos péchés, nous ne sommes rien, et nous ne faisons rien; car à nous, qui avons souillé et perdu la grâce précieuse du baptême, qui avons chargé nos mains d'iniquités, il est d'une nécessité absolue de nous purifier, et, par le feu ardent et continuel du repentir et par l'huile de la miséricorde de Dieu, de faire fondre cette poix crasseuse de nos vices.
72. J'ai vu des personnes qui étaient, pour ainsi dire, montées au dernier degré de la pénitence. Elles avaient une contrition si vive et si poignante de leurs péchés, qu'elles allaient jusqu'à vomir du sang. Cette vue m'a rappelé ces paroles du psalmiste : "J'ai été frappé, Seigneur, par les fléaux de votre colère, comme l'herbe l'est par les rayons du soleil, et mon coeur s'est desséché" (Ps 101,5).
73. Les larmes que la crainte de Dieu nous fait répandre, produisent en nous la crainte de les voir tarir et la vigilance nécessaire pour les conserver. Ceux qui ne pleurent leurs péchés que par un mouvement d'une charité peu enflammée et qui n'a pas la perfection requise, les auront bientôt vues disparaître. Il ne faut pas en dire autant de ceux qui pleurent leurs fautes, parce que leur coeur est embrasé dans le temps d'un feu digne d'une éternelle mémoire; et disons ici, pleins d'admiration, que dans notre pénitence c'est ce qu'il y a de plus humble et de plus abject, qui nous donne réellement et plus d'assurance et plus de certitude qu'elle plaît à Dieu.
74. Il y a des choses qui font tarir les larmes de la pénitence, et il y en a d'autres qui y mêlent, si j'ose m'exprimer ainsi, de la boue et des bêtes sauvages. Les premières furent cause de l'inceste de Loth avec ses deux filles, et les secondes, de la chute de Lucifer et de ses anges.
75. Elle est vraiment incroyable, la malice des ennemis de notre salut : ils se servent de tout pour changer nos vertus en vices, et pour nous donner de l'orgueil dans les choses mêmes qui devraient nous couvrir de confusion.
76. La solitude, où nous sommes, les cellules que nous occupons, et différents objets que nous rencontrons, sont quelquefois capables de nous porter à la componction; et n'est-ce pas ce que notre Seigneur, Élie et saint Jean Baptiste nous apprennent par leur exemple ? Car ils se retirèrent dans le désert pour y vaquer plus librement à la prière, et pour offrir à Dieu, le tribut de leurs larmes.
77. Cependant il arrive, et j'ai vu moi-même, que dans le sein des villes et qu'au milieu du tumulte et des agitations du siècle, des moines versent des larmes abondantes. Mais ne nous y trompons pas; c'est une ruse, c'est une tromperie du démon : il veut nous engager par là à rentrer dans le monde, en nous faisant croire que nous ne souffririons aucun dommage ni aucune perte spirituelle, si nous fréquentions les hommes, et que nous fussions au milieu des choses et des affaires du siècle; que par conséquent c'est à tort que nous redoutons si fort le monde et ses agitations tumultueuses.
78. Ne perdons pas de vue qu'il est souvent arrivé qu'une seule parole a pu suffire pour faire sécher la source des larmes dans une âme pénitente.
79. Peut-on dire que, sans une espèce de miracle, une seule parole ait pu les faire couler de nouveau ? Eh ! Mes tendres amis, à l'heure de notre mort, le souverain Juge ne nous fera pas un crime de n'avoir pas fait des miracles pendant notre vie, de n'avoir pas traité avec subtilité les matières élevées de la théologie, et de n'être pas parvenus à un haut degré de contemplation, mais de n'avoir pas pleuré nos péchés de manière à en mériter le pardon. Tel est le septième degré de l'échelle du paradis. Que celui qui y est monté, daigne me tendre la main, car ce n'est que par le secours de quelqu'autre, qu'il y est monté lui-même, et qu'il s'est purifié des péchés qu'il avait commis pendant sa vie.
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